Dans le cadre de différents modèles culturels présentés par les vêtements, l’exposition L’Énigme de l’uniforme aborde l’habit comme un moyen spécifique de communication au sein de la culture visuelle. En tant que segment de l’art visuel, l’uniformité vestimentaire a joué un rôle important dans l’autoreprésentation des citoyens, dans la construction des sphères privée et professionnelle, dans la représentation des souverains, des armées, des personnages historiques, des idées nationales… Le vêtement peut indéniablement dissimuler, mais aussi révéler l’identité d’un individu. L’interprétation artistique de l’uniforme (ou des éléments vestimentaires) est immortalisée dans de nombreuses oeuvres de nos artistes de renom, qui, par leur authenticité, donnent naissance à une multitude de figures énigmatiques que l’on pourrait classer selon les catégories sociales auxquelles elles appartiennent.
Olja Ivanytski : Isabelle d’Este dans la chambre rose (1967)
Il s’agit d’un portrait d’Isabelle d’Este, réalisé d’après un dessin de Léonard de Vinci datant d’environ 1500, aujourd’hui conservé au Louvre. Isabelle d’Este a été une figure culturelle et politique majeure, l’une des plus grandes mécènes féminines de l’histoire. Elle est connue pour avoir fait de sa cour à Mantoue un centre de rassemblement des scientifiques et artistes les plus éminents de la Renaissance italienne. Fidèle à l’image et au dessin du célèbre artiste italien De Vinci, Olja Ivanytski représente Isabelle de profil, avec une posture aristocratique, vêtue d’un costume évoquant le code vestimentaire des dames de la Renaissance issues des hautes sphères.
La figuration unique et reconnaissable, le fantastique, la magie et le réalisme poétique d’un nouveau genre sont quelques-uns des traits fondamentaux de la peinture d’Olja Ivanytski. Le tableau évoque un moment hors du temps, avec un regard qui se tourne d’abord vers le passé – jusqu’à Léonard de Vinci – puis vers le présent, jusqu’au monde contemporain. L’iconographie de la peintre se caractérise par un langage plastique original, exprimé à travers de nouvelles structures figuratives.
Lazar Vozarević : La famille royale (1958)
Sur le tableau sont représentés les membres de la famille royale avec les insignes symbolisant les attributs du pouvoir : la couronne, le manteau, le sceptre et les vêtements royaux inspirés de l’art byzantin, mais stylisés dans un style cubiste – suivant l’exemple de la période bleue de Pablo Picasso. Cette oeuvre de la famille royale en trois membres date d’une période où dans les oeuvres de Vozarević se remarque une synthèse du cubisme et de la tradition byzantine serbe, les thèmes iconographiques classiques faisant référence aux styles picturaux de l’art contemporain.
Aleksandar Luković Lukijan : L’Orateur (1959)
La création d’Aleksandar Luković Lukijan est étroitement liée à l’esprit du surréalisme, ce qui implique une approche opposée au réalisme d’imitation de la réalité. Dans le tableau intitulé L’Orateur, on voit un orateur vêtu d’un habit datant de l’époque de l’Empire romain. La toge dans la Rome antique n’était pas seulement un vêtement (en réalité, c’était le moins important), mais un message porteur d’une symbolique particulière.
Avant tout, elle marquait le rang social, car elle était portée exclusivement par les citoyens romains. C’était une condition nécessaire, mais pas suffisante, car tous les citoyens romains n’en étaient pas dignes. Elle indiquait non seulement le rang social, mais aussi un statut professionnel et social particulier. Elle était portée par les souverains, les membres du Sénat, les consuls, ainsi que les philosophes et célèbres orateurs. Sa manière d’être drapée autour du corps, avec le reste du tissu passant par-dessus l’épaule gauche et laissant le bras droit libre, montre clairement qu’elle n’était pas conçue pour un travail manuel, mais pour une activité intellectuelle.
L’orateur dans le tableau d’Aleksandar Luković Lukijan regarde vers les hauteurs, tandis que la décoration qui l’entoure est imaginaire et symbolique, avec quelques détails du monde moderne, ainsi qu’un phénix, métaphore de la renaissance.
Ljubodrag Janković Jale : Les Suđaje (Parques) – (1999)
Depuis toujours, malgré tous les efforts pour influencer leur propre destinée, les hommes ont ressenti que les choses les plus importantes de la vie (naissance et mort,
bonheur et malheur) étaient entre les mains de forces surnaturelles. Ainsi, dans la culture de la Grèce antique, ces êtres responsables du destin humain et de la durée de la vie mortelle étaient les Moires (Clotho, Lachésis et Atropos), dans la culture romaine antique, ce sont les Parques (Nona, Décima et Morta), et dans la mythologie slave ancienne – les Suđaje.
Les Suđaje (les juges ou nées), êtres démoniaques, prophétesses, déterminaient le destin du nouveau-né, généralement la troisième nuit après la naissance. Sur la peinture de Ljubodrag Janković Jale, ces trois Suđaje, d’apparence solide et monumentale, ressemblent aux sculptures féminines dans des stoles, portant des tuniques romaines – des robes, recouvertes d’un manteau (palla), qui, à l’instar des toges masculines, couvre un bras et la poitrine.
La figure centrale féminine, en blanc, est l’équivalent de Clotho ou Nona, la Suđaja qui file le fil de la vie, tandis que celles à sa gauche et à sa droite sont les Suđaje dont l’une détermine la longueur de ce fil, et l’autre le coupe. La peinture montre clairement un entrelacement des mythologies slave et romaine.
Milić od Mačve : Les habitants de Mačva traînent le blé pour la République d’Užice (1966)
Le peintre Milić Stanković, connu sous le nom de Milić od Mačve, est l’un des peintres serbes les plus importants du 20e siècle. Son style est dominé par le surréalisme figuratif, et on l’a souvent surnommé le « Salvador Dalí serbe ».
Les motifs caractéristiques de Milić od Mačve incluent des cieux enflammés, des troncs flottants, des boules de feu et des blocs de glace. Sur le tableau Les habitants de Mačva traînent le blé pour la République d’Užice, qui fait partie de l’exposition L’Énigme de l’uniforme, on voit un ciel dominant peint en tourbillon de couleurs, allant de l’orange clair à des nuances plus sombres d’orange, rouge vif, rouge foncé et bordeaux avec des tons violets, soulignant ainsi l’implication de la nature dans le drame du destin humain.
Dans la partie inférieure du tableau, une route de campagne montre une colonne menée par des soldats de la lutte de libération nationale, c’est-à-dire des partisans en manteaux militaires, suivis de près par des paysans de Mačva avec du bétail et des charrettes.
Les oeuvres de Milić de Mačva se caractérisent par une abondance de symboles et une multiplicité de messages.
Dragutin Cigarčić : Le Chevalier
Les armures chevaleresques caractérisent les guerriers médiévaux et, en tant que telles, ont évolué au fil du temps, passant de simples cottes de mailles à des armures complexes et lourdes en plaques au cours de la fin du Moyen Âge. Au 15e siècle, l’armure en plaques devient la norme, offrant une protection complète du corps, comme illustré dans le tableau de Dragutin Cigarčić. Ces armures sont fabriquées en acier trempé et façonnées avec précision pour repousser les coups.
Zoran Petrović : Don Quichotte (1957)
Zoran Petrović, figure de la Renaissance dans notre culture, était peintre, sculpteur, écrivain, pédagogue, et professeur titulaire à l’Académie des beaux-arts de Belgrade. Dans son art de sculpteur se ressent un esprit fort d’artiste et une volonté passionnée de dompter les éléments et de nous raconter une histoire fascinante à travers la combinaison de métal poli et brossé aux arêtes vives et aux détails symboliques finement travaillés.
C’est précisément cette histoire que nous rencontrons dans sa sculpture Don Quichotte, qui représente le personnage légendaire du chef-d’oeuvre de Miguel de Cervantes, L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche. Le contraste entre les surfaces brillantes des formes élémentaires telles que le cercle, la boule, les surfaces rectangulaires, et les détails de la figure du chevalier médiéval – comme le bouclier cabossé et la lance surdimensionnée – ainsi que ceux du cheval Rossinante au corps affaissé, contribue à l’interprétation imaginative par l’artiste du chevalier triste.
Mića Popović : Salle d’attente de 2e classe (1977)
Mića Popović, en tant qu’artiste, a réfléchi de manière créative aux possibilités d’expression multimédia dans la peinture de genre, comme il appelait ses oeuvres créées dans les années 1970. Au lieu de la peinture à l’huile traditionnelle, il combinait sur ses grands formats des techniques picturales traditionnelles avec des journaux collés, des caisses en bois, des valises et de nombreux autres objets qui, venant de la réalité, entraient dans l’oeuvre d’art, comme on peut le voir sur la toile exposée.
Le tableau Salle d’attente de 2e classe fait partie d’un cycle appartenant à son art des scènes. Le message adressé par l’artiste est une sorte de provocation, qui a été
initialement reçue avec méfiance par la bureaucratie du Parti dans les années 1970, et a été confrontée à de sévères condamnations idéologiques et à des interdictions.
Mladen Srbinović : Le Guitariste (1972)
Mladen Srbinović est un peintre du genre poético-fantastique, s’appuyant largement sur le monde de la mythologie, des légendes, des contes de fées et des fables populaires qui nourrissent son inspiration.
Sur le tableau dominent deux figures de musiciens, des guitaristes, placées frontalement dans une composition complexe et dynamique. Srbinović est un coloriste affirmé, avec un contraste de tons d’une intensité chromatique vive, mettant en avant des nuances de rose, de violet et d’orange.
Majda Kurnik : Trois musiciens (1963)
Bien que le point de départ de la peinture de Majda Kurnik est le réalisme, sur ce tableau elle confère, par une démarche expressive particulière, une atmosphère spécifique où prédominent le poétique et l’irréel. Les solutions chromatiques sont sobres, sans détails expressifs.
Momčilo – Moma Antonović : Le retour de l’exécuteur
Momčilo Antonović, peintre à l’expression expressive, exprime sa sensibilité artistique par une riche palette de couleurs et une forme dramatique. Son tableau Le retour de l’exécuteur se caractérise par une composition riche en polychromie et des coups de pinceau énergiques.
La dynamique des lignes contribue à l’expression émotive d’un acte aussi dramatique que celui d’une exécution.
Snežana Pešić Rančić : Du passé (2020)
Inspirée par la rencontre historique entre le roi Alexandre Karađorđević et Kemal Atatürk (en octobre 1933, le roi Alexandre a visité Atatürk à Istanbul), Snežana Pešić Rančić a représenté ces deux souverains en soulignant la différence dans leur présentation : bien qu’ils soient côte à côte, ils paraissent indifférents à la présence de l’autre, les regards dirigés vers l’avant, comme s’ils posaient pour une photo, vêtus de manière complètement différente : le roi Alexandre en uniforme militaire d’officier, appuyé sur une canne en acajou à pommeau doré, tandis qu’Atatürk porte un costume civil, suivant la dernière mode britannique de l’époque (manteau, cravate, haut-de-forme).
L’ensemble des figures porte un regard ironique, car l’identité est à la fois transparente et reconnaissable, mais aussi masquée derrière une pose presque de catalogue de présentation des costumes. L’artiste, adepte d’une approche multimédia, utilise ici une technique combinée inhabituelle : acrylique appliqué sur une grande feuille de PVC transparente, combinée à du ruban adhésif (vlieseline).
Nikola Bešević : Sans titre
Nikola Bešević était connu pour ses natures mortes, où se manifeste son penchant pour une riche palette de couleurs et des coups de pinceau expressifs. Sur l’oeuvre exposée, sont représentés des masques rituels africains ainsi que des animaux totems (totems).
Les masques jouent un rôle important dans les rituels et cérémonies en Afrique, avec diverses fonctions. De plus, le masque en tant que symbole complexe comporte trois aspects : l’expression, le contenu et la signification.
Anđelka Bojović : Tableau (1990)
Il s’agit de l’interprétation par l’artiste du célèbre tableau d’Antoine Watteau Le Mezzetin avec une guitare (réalisé entre 1718 et 1720). Ce personnage de la Commedia dell’arte italienne est un sujet fréquent de la peinture rococo française,
en raison de son costume coloré et de son caractère tout aussi vif : changeant, séduisant, éloquent et amoureux.
Anđelka Bojović le présente dans son costume typique, avec une veste rayée ornée d’un somptueux col blanc et un pantalon rayé jusqu’aux genoux, coiffé d’un béret aux couleurs vives, dans la posture d’un chanteur envoûté qui s’accompagne à la guitare.
Kosta Bradić : Au petit déjeuner (1981)
Kosta Bradić est un peintre connu pour son expression surréaliste. Ses oeuvres abondent en symboles et motifs mystiques, et leur riche palette coloriste les rend visuellement saisissantes et intrigantes.
En 1953, Bradić a été l’un des fondateurs du célèbre groupe artistique Mediala, qui regroupait peintres, écrivains et architectes. Ses membres cherchaient à concilier les valeurs traditionnelles avec les courants artistiques contemporains. Parmi eux se trouvaient également Olja Ivanytski et Milić od Mačve, dont les oeuvres figurent aussi dans l’exposition L’Énigme de l’uniforme.
Uniforme militaire
D’un point de vue historique, la fonction principale de l’uniforme militaire était de rendre reconnaissables les soldats des camps opposés, mais aussi d’effrayer l’ennemi lors du combat, raison pour laquelle elle était parfois conçue pour produire une forte impression.
Une autre fonction importante était de camoufler les soldats aux yeux de l’ennemi ; ainsi, des couleurs présentes dans la nature – vert olive, vert, camouflage et gris – étaient utilisées, autrefois comme aujourd’hui, à cet effet.
L’uniforme peut aussi être cérémonielle et revêtir un caractère protocolaire, portée lors de réceptions et d’évènements en parade.
Nous pouvons voir dans certaines oeuvres picturales de la collection exposée des idées de figures uniformisées, réelles, surréalistes et abstraites.
Nikola – Koka Jovanović : Guerrier, sculpture en bronze
Bogoljub Boba Jovanović : En pleine splendeur
Radislav Trkulja : Guerrier de paille
Milan Blanuša : Le soldat qui boit une bière
Zdravko Joksimović : À qui est cet uniforme ?